A la recherche de sujets pour la remise en forme de mon blog, je me suis mise à réfléchir à la valeur de l’écrit sur Internet. Et si, dans quelques années, malgré notre obsession du SEO, les mots n’étaient plus. Si, un matin, nous nous  décidions tous à bannir la moindre lettre de nos sites web. Zéro contenu, juste du son, des photos, des pictos ou des vidéos. Après tout, ne dit-on pas qu’une bonne image vaut mille mots.

C’est à ce moment précis que la question de l’accessibilité au web pour les personnes non-voyantes m’a traversée l’esprit.  Quelle perception un aveugle a-t-il des contenus web ? Y a-t-il eu des évolutions notables dans ce domaine ? Quid des Smartphones et des tablettes ?…

Fernando Pinto da Silva, responsable du Centre d’Evaluation et de Recherche sur les Technologies pour Aveugles et Malvoyants et  non-voyant, a bien voulu prendre le temps de répondre à toutes mes interrogations. (un grand merci à lui pour sa patience et sa pédagogie !)

Fernando est un geek, une exception chez les non-voyants. Il a fait ses premiers pas dans l’informatique en 1997. Tout d’abord sur MS-DOS puis rapidement sur Windows 95. Il travaille sur son ordinateur 8h par jour depuis plus de 10 ans. Mais pas comme nous. Fernando n’a pas de souris, juste un clavier avec des dizaines de raccourcis qu’il a fallu apprendre par cœur. Il possède aussi un lecteur d’écran (logiciel qui interprète le contenu lisible de son écran et le transforme en synthèse vocale).  « Vous pouvez aussi coupler ce système à une tablette braille, c’est plus efficace, mais cela coûte tout de même 15000 euros. » J’apprends aussi que le prix moyen d’un lecteur d’écran est de 1500 euros. Mais, bonne nouvelle, un site propose  depuis quelques mois le premier lecteur d’écran gratuit open source. « D’une très bonne qualité », ajoute Fernando.

–> Pour comprendre comment fonctionne un lecteur d’écran, voyez cette vidéo sur le matériel informatique des non-voyants.

Une question me brulait alors les lèvres. « Les non-voyants étaient-ils plutôt mac ou pc ? ». « Eh bien, pendant des années, nous étions sous Windows car Apple ne proposait aucune solution. Mais depuis deux ans, tout a changé. Apple nous a beaucoup impressionnés. Il est le premier fabricant à avoir intégré dans son système un lecteur d’écran. Que ce soit sur Macbook, iPhone et iPad. C’est une grande première. » Android ne propose pour le moment aucune solution intégrée (de quoi raviver la guerre entre les deux camps). Quant au navigateur, historiquement, la majorité des non-voyants sont sur IE mais de plus en plus se tournent vers Firefox, « notamment à cause d’un plugin génial pour les captcha, illisibles par le lecteur d’écran » et vers Safari. « En revanche, Chrome n’est pas du tout accessible ! »

Outre ces considérations de technophiles, Fernando m’a précieusement listé tous les éléments qui rendaient un site accessible pour les non-voyants.

- Un site bien conçu est un site qui structure bien l’information
- Il faut un schéma éditorial, une hiérarchie des contenus bien pensée
- Pour accéder rapidement à l’information, des contenus bien titrés sont primordiaux
- Il est aussi essentiel de rendre les liens intelligibles et utilisables quel que soit l’usage que l’on en fait (« Mon lecteur d’écran permet de lister tous les liens d’une page web. Il arrive que je me retrouve avec 15 liens nommés « En savoir plus »)
- Nommez toujours les illustrations
- Proscrire le flash et les tableaux de données

Je réalise très rapidement que ces indications sont les mêmes que celles préconisées par les référenceurs.  Afin de rafraîchir l’esprit et la méthode des créateurs de sites,  voici d’ailleurs le conseil de Fernando : « Faire un site accessible, c’est augmenter son référencement. » Ca ne s’invente pas !

Mais alors, est-ce qu’en 2011, 100 % des sites web sont accessibles ?
« Non, malheureusement, et ce malgré la législation. Je vous citerais l’exemple de Pôle Emploi.  Typiquement, sur leur site, il y a un onglet « Première visite ». Quand je me rends sur cette page, je n’ai accès à rien. Juste à une musique. ». Les créateurs du site ont en effet cru bon de réaliser une animation flash, totalement inaccessible pour les non-voyants.

Fernando me fait ensuite remarquer que si Facebook est une « catastrophe en termes d’accessibilité », ce n’est pas le cas de Twitter.

Il y a donc encore du travail à accomplir pour faciliter l’accès au web aux personnes handicapées. Mais la balance penche clairement en faveur de l’optimisme. « Vous n’imaginez pas comment Internet a amélioré notre quotidien.  Ces 10 dernières années ont été un véritable boom. Je pense notamment aux courses en ligne, mais aussi à l’information, au programme ciné, aux pages jaunes... »

Cette révolution technologique, qui a été pour nous, voyants, un confort supplémentaire et un gain de temps, a clairement été pour les non-voyants un bénéfice énorme pour leur autonomie et leur vie quotidienne.

Pascale Lagahe